Elle m'avait fait passer un mot comme elle en avait l'habitude. Une petite note calligraphiée d'une écriture fine et élégante, me demandant de venir lui tenir compagnie en cette douce nuit remplie d'étoiles. Je me faufilais sans bruit dans l'obscurité, surprenant mêmes les gardes qui pourtant me firent entrer sans mot dire. La demeure était immense et très imposante mais j'avais fait cela si souvent que je connaissais le chemin aussi bien que les ruelles de la ville Cendre. Je croisais quelques domestiques sur le chemin vers la chambre d'Ilyana qui me saluèrent tous d'un signe de la tête. Au début de notre relation j'avais eu beaucoup de difficultés à les empêcher de faire des courbettes sur mon passage, courbettes liées au rang qu'ils m'avaient attribué en tant qu'amant de leur « maîtresse ». Seulement je n'étais qu'un pauvre Cendre réduit à voler pour survivre, je ne trouvais pas cela normal que des Cendres s'inclinent face à d'autres Cendres. Surtout qu'ils avaient un honnête travail, tandis que moi, j'étais passé maître dans l'art de subtiliser des biens et de plus j'avais une relation avec une femme mariée. Non, vraiment, je ne méritais pas ces courbettes. Je craignais parfois qu'ils ne vendent la mèche, qu'ils nous dénoncent aux autorités, ou encore à Nathanaël, le mari d'Ilyana parti en voyage depuis bientôt six mois. Cependant je faisais confiance à la belle Eliorn, si elle affirmait que l'on pouvait accorder notre confiance à ses domestiques, alors je la croyais et cessais de m'en inquiéter.

Je fis un léger détour par les cuisines, m'emparant d'une jolie pomme rouge et croquant à pleines dents dedans. J'avais les crocs, je n'avais quasiment pas mangé de la journée. Je savais qu'Ilyana ne me tiendrait pas rigueur de m'être servi, cela ne la dérangeait pas, après tout chez elle ce n'était pas la nourriture et le confort qui manquait. En parlant de confort, cela fit naître en moi l'envie de me baigner, lorsque le jour se lèverait juste avant que je m'en aille j'irais faire trempette dans un bain rempli de mousse. Ilyana me rejoindrait sans aucun doute et, à cette pensée, un sourire naquit sur mes lèvres. Je redoutais le moment où son mari rentrerait de voyage. Nous aurions à ce moment là moins d'occasions de nous voir, à moins qu'elle vienne se balader dans la ville Cendre mais il y aurait des chances que l'on nous aperçoit ensemble et c'était exclu. Nous maintenions notre petit secret depuis si longtemps déjà, je commençais à ne plus supporter de devoir rester dans l'ombre. Je la voulais pour moi, à moi, pas seulement secrètement, officiellement également.

J'arrivai devant le seuil de sa porte. Comme d'habitude je savais que je lui servirais le même discours, je la prierais de s'enfuir avec moi, loin d'ici, loin de tout, pour que nous puissions enfin être nous même au grand jour, sans peur d'être vus. Et elle me répondrait qu'elle ne pouvait pas, sa famille l'en empêchait, elle ne voulait pas les décevoir. En bon amant que j'étais, je comprendrais évidemment. Je continuerais d'attendre, ce n'était pas un problème. Mensonge, ça commençait justement à en être un.

Joignant le geste à la parole, je toquai contre la porte. Trois petits coups secs, accompagnant le son de ma voix : « Toc, toc, toc ! Devine qui c'est. » Je me collai un sourire charmeur et implacablement séduisant sur les lèvres. Absolument, i-rré-sis-tible.

Très peu de temps après avoir toqué, j'entendis des bruits de pas précipités venant de derrière la porte en bois précieux. Je supposais qu'Ilyana guettait mon arrivée depuis déjà un petit moment. La porte s'ouvrit brusquement pour laisser place à son minois si attendrissant qui élargit plus encore mon sourire. Elle vint se jeter dans mes bras protecteurs, que je refermais autour d'elle, heureux de la sentir près de moi. Elle paraissait toujours plus heureuse à chaque fois que nous nous voyons, et d'ailleurs j'étais ravi d'en être la cause. Elle vint poser ses lèvres sur les miennes, amoureusement, je ne demandais que ça. Sa main fourrageait dans mes cheveux tandis que sa bouche glissait vers mon oreille et vinrent me chuchoter de douces paroles d'une voix que j'aimais tant, si séduisante « Solhàal, je suis tellement heureuse que tu sois venu… Tu me manquais déjà tu sais… ». Je ris doucement, nous nous étions vus la veille. Elle avait fixé son regard dans le mien, j'aurais voulu que cet instant dure toujours. « Ma princesse me demande, alors que faire d'autre qu'accourir. » Je jouais distraitement avec une mèche de ses cheveux.

Ilyana s'empara de ma main avec détermination pour me guider jusqu'à son lit où elle me fit asseoir presque avec autorité. Je me laissais faire, amusé et un peu curieux car elle semblait avoir quelque chose de particulier à me dire. Peut-être avait-elle enfin décider de tout quitter pour s'enfuir avec moi ? J'en serais tellement heureux. À moins qu'elle avait appris la date de retour de Nathanaël et comptait m'annoncer que nous ne nous reverrions plus avant longtemps ? Désormais je redoutais qu'elle prenne la parole. La jeune Eliorn vint se placer au dessus de moi, je crus un instant déceler un semblant de nervosité sur l'expression de son visage. Je l'observai attentivement et remarquai de petits gestes qui ne trompaient pas. Elle mordillait sa lèvre inférieure, signe qu'elle était en train de réfléchir ou recherchait ses mots. Je commençai à être réellement intrigué sur ce qu'elle avait à me dire. Toutefois je ne la pressais pas, je lui laissais le temps dont elle avait besoin. Enfin, après ce que je crus une éternité de silence, elle déclara le plus sérieusement du monde « Solhàal, j’ai quelque chose de très important à te dire. Mais, s’il te plait, je ne veux pas que tu t’énerves, je ne veux pas que tu sois fâché contre moi. Parce que sinon… Parce que sinon je serai triste. » Quelque chose de très important, mes pressentiments étaient justes. Je faillis lui répondre que je ne serais jamais fâché contre elle car pour rien au monde je ne voudrais être l'origine de sa tristesse, mais elle ne m'en laissa pas le temps, prenant une grande inspiration elle continua, paraissant avoir prononcé ces paroles réfléchies, maintes et maintes fois dans sa tête. « Je suis enceinte. De toi. »

Mélange de sentiments, d'émotions, mélange de réactions, je ne savais que dire et je ne parvenais pas encore à poser les mots qui convenaient sur ce que je ressentais. Aussi je pris quelques secondes pour réfléchir. Je n'avais pas de mot pour exprimer à quel point j'étais heureux. J'étais un homme comblé, dans le petit bidon de ma bien-aimée se cachait désormais un petit ange, qui était un mélange d'elle, et de moi, un mélange de nous. Que demander de plus ? Je ne m'y attendais absolument pas, jamais je n'aurais supposais qu'elle s'apprêtait à m'annoncer une nouvelle pareille. Je savais que le père d'Ilyana demandait depuis quelque temps un petit héritier et soudain l'inquiétude vint amèrement teinter ma joie de bientôt devenir père, qu'adviendrait-il d'un petit héritier illégitime ? Plus que jamais, notre liaison secrète était en danger avec la venue de ce nouveau né. Je voulais par dessus tout qu'il ait une vie remplie d'amour et de bonheur, qu'il n'ait jamais à voler comme moi et qu'il ne manque jamais de nourriture. Mais si quelqu'un, son père ou son mari, apprenait que l'enfant n'était pas de Nathanaël, ce qui était fort probable étant donné que ce dernier n'avait pas dormi avec Ilyana depuis presque six mois, cela risquerait d'avoir de graves conséquences pour nous, et donc pour l'enfant. Je m'interrogeai auprès d'Ilyana, non sans l'avoir tendrement embrassée, sorti de mes réflexions. « Je t'aime. Et tu n'imagines pas à quel point je suis heureux de ce que tu viens de m'annoncer. Heureux est un bien faible mot d'ailleurs. » Je l'embrassai encore une fois, laissant courir mes doigts le long de ses hanches et vers son ventre. Nous avions donné la vie. Je devais être en train de rêver. Je ne pouvais imaginer moment plus parfait. Seulement la réalité me rattrapait, et je ne pouvais pas ne pas aborder les mauvais points. « Ilyana, je ne veux pas rompre cette bulle d'extase dans laquelle nous sommes, mais... ce que je veux dire, c'est, que prévois-tu ? Comment allons nous faire ? Nathanaël est parti depuis si longtemps. Tu ne pourras pas cacher ton ventre bien longtemps... » J'attendais sa réponse avec un soupçon d'appréhension, malgré la joie qui me consumait.