this is it, they call it the new change

Le dos droit, le menton fièrement relevé et un éclat de mépris dans ses yeux bleus, Earwyn fait face. Elle fait face aux trois hommes qui l'encerclent et la titillent, la bousculent, griffent sa peau et menacent à tout moment de fondre sur elle. Ses cheveux sont emmêlés autour de son visage, sa joue a viré au rouge vif et sa lèvre inférieure s'est fendue sous la puissance d'une gifle, mais elle garde la tête haute. Il est hors de question qu'elle courbe le dos face aux raclures qui ont décidé que, sous prétexte qu'elle a les cheveux bruns, presque noirs, elle a forcément du sang quartz dans les veines et ne mérite donc que la maltraitance. Pire. Le viol. Parce qu'elle a parfaitement conscience que c'est le viol qui l'attend dans cette impasse tortueuse, étroite, mal éclairée par le soleil qui se couche. Elle ferme un instant les yeux, le temps pour elle de se remémorer comment elle a réussi à se retrouver coincée dans une situation qui ressemble terriblement à un face à face avec une meute de fangs.

La cloche de la chapelle de Kaïa sonna les coups de six heures au loin. Earwyn se redressa légèrement, assez surprise de se rendre compte qu'elle avait passé près de deux heures en compagnie des gardes, sur les remparts de la ville. Elle aimait bien venir se percher là, souvent avec une bouteille d'hydromel et quelques morceaux de gouse confite à partager. Et surtout, loin des clichés de la brute sans cervelle qui couraient souvent dans les rues de la ville Cendre, les gardes étaient pour la majeure partie bien élevés, avec une conversation particulièrement intéressante et un regard très souvent nuancé sur les démêlés politiques d'AnkNor. Bref, la cloche avait sonné six heures et la jeune couturière s'empressa de descendre des remparts par le premier escalier en vue, celui qui menait à l'allée de la gouse, l'une des plus mal famées de Cendre. Et en passant près d'une ruelle, une main se referma violemment sur son bras pour l'attirer dans la venelle. Une autre arracha la capuche qui masquait en partie son visage et ses cheveux sombres. « M'semb' qu'on a tiré l'gros lot les gars ! Une p'tite rej'tonne de ces salop'ries de Glauques, on va pouvoir s'faire plaisir ! » Elle fronça les sourcils et releva la tête sans se démonter. « Je ne suis pas une sang-mêlé, je suis originaire de BakLohr ! » La gifle frappa sa joue à ce moment, et ce fut la descente aux Enfers.

Earwyn ne revient à la réalité que lorsque deux larges mains presque noires sous l'effet de la crasse viennent se poser sur ses épaules. Instinctivement, elle cherche à se dégager mais la poigne se fait implacable et la ramène contre un torse sec, presque maigre, pendant que l'acier froid d'une lame vient se loger contre sa gorge. « Tu vas t'calmer tout d'suite, ma jolie, ou j't'ouvre ta jolie gorge. » La menace est prononcée trop sérieusement. L'haleine de l'homme, mélange d'alcool de seconde main, de tabac froid et de viande séchée, lui donne un haut le cœur. Un bruit de tissu déchiré et un courant d'air froid le long de sa poitrine suffit à l'informer que sa robe est définitivement fichue et, surtout, qu'elle a désormais les seins à l'air. « Ose me toucher, Cendre puant, et je t'assure que je réclame à ce qu'on te coupe les testicules pour te les faire porter en collier pendant douze lunes ! » crache-t-elle, furieuse. Mais personne n'a le temps de réagir. Quelqu'un a déjà pénétré dans la ruelle.