▷Ce fut péniblement qu'elle s'extirpa du sommeil et des couvertures. Quand bien même fusse le zenith de la nuit, elle poussa ses jambes à la soulever, se traînant jusqu'au lavoir vétuste. Là, il lui fallu un sceau d'eau - celui de la veille; la frénésie pouvait commencer. Compulsivement, Dastaël frottait l'épiderme de ses mains trempées, des métacarpes aux dernières phalanges. Masser le trapèze crasseux de suie, racler la corne de l'ongle sale. Encore, encore, jusqu'à l'usure de la peau rouge. TOC; trouble obsessionnel compulsif. S'ils l'apprenaient, elle passerait pour folle. Certainement. Ils ne devaient pas savoir, rien connaître de son esprit malade et trouble. C'est un secret, une honte. Elle frotte, et gratte, et use, puis tremble en se recouchant. Ce n'est rien d'autre qu'un rituel sempiternel et pérenne. ▷ Le tranche-montagne lui avait clairement signifié cela : l'épée était trop lourde. Esthétique, certainement, mais qu'avait-il à faire de l’esthétisme lorsqu'il devait découper de la chair comme on tranche des bûches ? Dastaël était bien partie pour reprendre le travail paternel, encore fallait-il qu'elle sache ses priorités. Contrariée, elle reprit néanmoins son travail et tant pis. Cette arme, même lourde et imparfaite, serait sienne. Kalhed, la crèvecoeur. ▷ Naître pauvre, naître amputée de certains privilèges, comme l'éducation. Il fallait voir l'ardent désintérêt qu'elle paraissait éprouver pour la lecture et l'écriture. Ça ne te servira à rien. qu'on lui disait toujours. Laisse ça aux pompeuses Perles. Les rapports inversés, Dastaël méprisait presque ces gens de hauts rangs par la jalousie suscitée. ▷ D'où pouvait bien transpirer le nom de son peuple, dans son allure un peu voûtée, un peu sauvage, dans son regard torve et vif ? Elle nourrissait une fierté incandescente qui ne mourrait pas, combien même le mépris latent des premiers habitants d'AnKnor suintait pour les nouveaux Quartz, Dastaël n'affichait rien de plus qu'un sourire en coin. Répondre à la haine par le sarcasme. Et vice versa. C'était un crédo quotidien. ▷

▷ Ses lèvres scellées par le gèle étaient douloureuses, et elle ne parlait plus depuis longtemps. Emmitouflée dans les pelisses de fourrures et de cuir bouilli, ses mouvements étaient gauches, son pas lourd et elle ne discernait que son souffle dessiné par l’apprêtée de la température. Le bois était épaissi par l’ombre et comme elle ne vit pas le sailli de terre et de neige, Dastaël trébucha brusquement. Le nez dans la poudreuse et les cheveux en auréole, elle resta quelques secondes bête avant de se redresser sur ses coudes en clignant des yeux pour se débarrasser des flocons qui perlaient ses cils. L’autre gosse, un brun adipeux au visage écrasé, ne tarda pas à apparaître derrière le gros arbre. « C’est qu’t’es ti tellement idiote ? » De là, il ressemblait vaguement à un fang dressé, tout bâché de fourrure qu’il était. Ses gants s’engluaient dans la résine de pin et il finit par retrousser les lèvres sur ses dents sales à la vue de la rousse qui haletait comme un soufflet de forge. « R’viens là avant qu’j’te r’dresse m’même. » Dastaël s’emporta soudainement sur ses jambes encore courtes pour frapper Karek au visage, dont le seul tort avait été de la soutenir – peut-être un peu abruptement. « Me traite pas d’idiote ou j’te coupe tout l’lard qui te sers de ventre et j’le donne à bouffer aux chiens ! » Elle se recula brusquement pour s’éviter de se prendre un coup dans le nez et ramassa la hachette qui était tombée lors de sa chute. « Pardon. » qu’elle grogna en regardant ailleurs pour dissimuler sa mauvaise foi. « Je dirai à Grenden que c’est d’ma faute si le chevreuil s’est carapaté. La prochaine fois.. - » Elle fut coupée par la voix grasse de son coéquipier. « Y aura pas d’prochaine fois p’tite. Pas pour toi. » Un long silence circonspect suivit la déclaration, mais Karek n’était pas simplement buté pour la forme. Il faisait parti de ces gars qui n’étaient pas facilement inclinables : si la chasse était terminée pour elle, Dastaël n’aurait qu’à retourner à l’atelier de son père.

Un vent aigre frappait de biais les murs du village et l’on entendait distinctement les peaux de bêtes claquer contre les claies où reposaient les quartiers de gibiers, les chanterelles, bolets et fruits secs. Pas de celliers, ici. Les hommes conservaient dans des bacs de gros sel et de saumures leurs viandes et leurs poissons si l'hiver s'annonçait trop rude, et les fruits restaient suspendus une demi saison pour sécher. Les gardes réfugiés dans les guérites désuètes lorgnèrent un instant sur les deux gamins qui passaient la porte avant de se recroqueviller sur eux même et, derechef, appesantir leur attention sur les frondaisons glacées. Si le silence hivernal avalait tout de la forêt - il n'y avait plus ni bêtes ni hommes à cette époque de l'année - le village ne manquait jamais de vie. Dastaël s'était approchée de son père, un biscuit d'avoine entre les lèvres et un verre de vin chaud et capiteux dans les mains. Déposant le gobelet sur l'établi, elle finit par attendre que le tranche-montagne ne daigne se tourner vers elle. La gamine n'avait rien pris de lui, à croire qu'elle eut été trouvée. Sa carnation laiteuse et ses cheveux filasses venaient de sa mère, tout comme son nez camus. Cependant, il y avait dans son regard et dans le rictus moqueur qui lui déformait les lèvres une marque paternelle. Le fracas du marteau sur le fer devenait une véritable buée sonore, si bien que l'enfant finit par se boucher les oreilles en grimaçant avant que Grenden ne se tourne. « J'ai rapporté une tourte de venaison farcie et de la bière frappée. » grogna t'elle en défaisant son écharpe de laine blanche. Devant le silence qui l'accablait, elle baissa les yeux sur les lourdes bottes de son père. « J'ai été inutile à la chasse, ce matin. » Et tandis qu'elle bafouillait, le forgeron posa son épée et saisit Dastaël sous les aisselles pour la soulever avec aise. « N't'en fais donc pas tant p'tit. » Ne t'en fais donc pas.

D'un geste, Dastaël essuya la sueur qui roulait jusqu'à ses joues et ses doigts tracèrent un sillon noir sur sa peau toute empourprée par la chaleur de la forge. Elle battait le fer de gestes brusques et droits, retournait la garde et continuait ses gestes frénétiques sans se soucier de ses cheveux qui bouclaient contre ses tempes et sa nuque à la sudation provoquée par l'effort. Rembrunie par la colère, elle se taisait et concentrait toute sa frustration dans son travail. Qu'elle crève, la putain. D'ailleurs, que crèvent tous les Jurilans. Elle avait vu le matin même, reposant sur le palanquin, un homme si richement vêtu qu'il aurait nourri les trois quart de la ville Cendre en vendant l'une de ses fioritures. Et, par la Déesse, ça la dégoûtait. Son ventre à elle ne cessait de grogner et de se tordre - elle n'était pourtant pas la plus à plaindre. Derrière les étoffes qui la grossissait, Dastaël semblait avoir pris en taille. Non en poids. Était-il seulement possible que la cité offre moins que cette forêt dans laquelle elle avait toujours vécu ? Il lui arrivait, parfois, de maudire ceux qui se prélassaient en haut de leur tour d'argent. Il y avait ces Armures qui l'impressionnaient, bien qu'elle ne pouvait baisser les yeux devant certaines arrogances, les Robes élégants, les Perles brillantes. Tous, autant qu'ils étaient, tous, Dastaël les détestait. Il exaltait dans le quartier Quartz des relents de peur à propos des Pacificateurs. Mais, désormais qu'ils s'étaient établis, jamais elle ne retournerait en forêt, et dût-elle mourir de cette bêtise.

▷ prénom/pseudo : jek ▷ âge : dix neuf ▷ t'habites où ? paris ▷ comment as-tu découvert le forum ? bazzart ▷ ce que tu en penses : " " suffit-il à résumer ? ▷ présence : normalement, tous les jours. ▷ un dernier mot ? QUARTZ FTW.